Cités du désert

Publié le par sylvain dommergue

Au cœur des deux grands déserts iraniens du Dasht-e Kavir et du Dasht-e Lut, la cité de Yazd est protégée par deux chaînes de montagnes. Ici, depuis des millénaires, la vie est placée sous le signe du soleil mais aussi sous celui de l'eau. Ville du désert, Yazd est pourtant riche d'espaces verts. Ses habitants maîtrisent depuis des temps immémoriaux les techniques d'irrigation et ses avenues sont bordées d'arbres.

La brique a remplacé le pisé mais l'architecture reste inspirée du passé. Sur la place Bahonar, les constructions ne dépassent pas les deux étages et les structures des constructions sont allégées au maximum. La ville de Yazd remonte à l'ancienne dynastie persane des Sassanides, au deuxième siècle de notre ère. Occupée par les Arabes puis épargnées par les hordes de Gengis Khan (12e siècle) et du Tamerlan (14e siècle), elle fut mise à sac par les Afghans au 18e  siècle.

La plupart des maisons de la vieille ville sont en pisé, de la boue séchée mélangée à des coquilles d'œufs et à de la paille. Ce mélange, qui devient très solide en séchant, protège à merveille les intérieurs de la chaleur. La vieille ville de Yazd est encore habitée. Les anciens caravansérails ont été transformés en ateliers pour les artisans. Certains quartiers font l'objet de campagnes de restauration et de reconstruction selon les techniques architecturales traditionnelles. Tous les toits de la ville sont de forme circulaire et percés d'une ouverture qui permet au vent de pénétrer dans les habitations pour y créer des courants d'air rafraîchissants. Se protéger de la chaleur cuisante du désert a toujours été le principal soucis des habitants de la région. C'est ainsi qu'ils ont mis au point un système de captation des vents appelé Badgirs. Les toits de Yazd sont hérissés de petites tours dans lesquelles le vent s'engouffre. Dans les habitations, la pièce centrale reçoit ce courant d'air en son centre, souvent agrémenté d'un petit bassin rempli d'eau. L'air s'y rafraîchit et se disperse ensuite dans toutes les pièces de la maison.

Les réserves d'eau sont elles aussi rafraîchies par le système des Badgirs. Les réservoirs, en brique et dotés d'escaliers, descendent parfois jusqu'à 80 mètres de profondeur. Grâce à ce système très ancien des Badgirs, véritable ancêtre de la climatisation, les habitants de Yazd survivent encore aux canicules d'été. C'est grâce à des canaux appelés Qanat que les hommes ont réussi le pari vital de maîtriser l'eau en plein désert. Un réseau souterrain réparti le précieux liquide dans toute la ville. On le fait venir des profonds puits creusés dans le sous-sol brûlant des étendues désertiques. Les puits, dont la profondeur dépasse souvent les 80 mètres, sont protégés par des cerclages de ciment. Pour puiser l'eau, les hommes ont remplacé les outres en peau de chèvre d'autrefois par des récipients de bois. Manuel ou bien tracté par un animal, ce système permet de remplir des jarres d'eau fraîche. Les canaux de distribution d'eau sont creusés à des profondeurs de 10, 20 et parfois 50 mètres qui s'étendent pour certains sur une centaine de kilomètres. Ils partent souvent des montagnes pour arroser les agglomérations situées en plein désert. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les Qanat ne captent pas les sources, les rivières ou les nappes d'eau souterraines. Creusés à sec, ils agissent à la manière d'un drain et aspirent par capillarité l'humidité du sol, provoquant un processus de ruissellement à l'intérieur du conduit qui se remplit d'eau. Parfois les Qanat sont creusés à ciel ouvert et les eaux s'écoulent lentement vers de petits bassins construits par les villageois. Elles sont ensuite redistribuées à partir de ces réservoirs. Le réseau est équipé de systèmes d'ouverture et de fermeture que les paysans actionnent à volonté pour irriguer leurs parcelles. C'est souvent l'homme qui assure cette opération, pendant que sa femme surveille l'infiltration de l'eau dans la terre. Dans les villes, l'eau est conduite par les Qanat jusqu'aux Badgirs, les systèmes de captation des vents. Grâce à ce système, la ville de Yazd manque rarement d'eau. Ses réseaux de canaux d'irrigation fonctionnent depuis plus de 13 siècles.

Yazd n'est pas seulement une ville d'eau, c'est aussi une cité placée sous le signe du soleil. La ville du feu sacré. Symbole de la religion mazdéenne, appelée également zoroastrisme, un feu sacré brûle ici depuis des siècles, abrité au cœur du temple consacré au dieu solaire Ahura Mazda, maître de l'univers et créateur du ciel et de la terre. L'Avesta, le livre sacré des mazdéens, dégage trois principes fondamentaux de vie ; la pensée limpide, la parole limpide et le comportement limpide. Zoroastre, auteur de ce texte initiatique des mazdéens a inspiré toutes les religions monothéistes du monde. A la sortie de Yazd, se trouve les restes d'un village zoroastrien. Les vestiges sont dominés par deux majestueuses Tours du Silence ou Dakmeh.

Dans la religion mazdéenne, l'enterrement et la crémation des défunts étaient interdits, les dépouilles humaines ne devant en aucun cas être au contact de la terre. Les morts étaient placés dans les tours du silence, livrés ainsi aux vautours et autres oiseaux carnassiers des montagnes, appelés les Lash Xhor. Une fois dépouillée de leurs chairs, les ossements des défunts étaient jetés dans une fosse circulaire, située au centre de la tour.

L’autre trace antique au centre de Yazd est la prison d'Alexandre, que le conquérant aurait fait bâtir lors de la prise de la ville. Le mausolée des 12 imams, décoré de stucs, date de l'époque seldjoukide, au 11e siècle. La somptueuse mosquée de Mikchakmaq est remarquable pour son présentoir rituel appelé Naxl, que plus de 600 hommes brandissent lors des grandes cérémonies religieuses du Tazieh. La Grande mosquée de Yazd, construite par l'épouse redoutée d'un gouverneur, est surmontée des minarets les plus élevés de l'Iran.

Dans les ateliers de la ville, le henné est fabriqué à partir des plantes de Jifoft et de Bam, qui poussent dans le désert.

Alimentée elle aussi par un réseau de canaux et perchée à plus de 1800 mètres d'altitude, la ville de Kerman, cité encadrée de forêts de sapins et de cyprès où est né le poète célèbre Raju Kermani. La place centrale de Kerman est encadrée de bâtiments modernes. Ici aussi, la religion de Zoroastre a laissé ses tours du silence. Le dôme de Jabalyie est exemplaire de l'architecture du désert. Sur les murs de la Mosquée du Vendredi, courent des motifs géométriques polychromes. L'entrée du bazar du régent, cœur de la ville, abrite l'enceinte de Ganjali Khan.  En plein bazar de Kerman, se trouvent les bains les plus célèbres de l'Iran dont la porte d'accès est décorée de motifs de l'époque sassanide et Qadjar. Le hammam a été transformé en musée et dans les salles tous les citadins et métiers ont été représentés ; les artisans, les ouvriers, les commerçants, les paysans, le clergé, les seigneurs, …. Le rituel du bain comprend plusieurs étapes parmi lesquelles le sauna et la sudation, un séjour prolongé sur des dalles chaudes, le lavage dans de petites salles privées ou en piscine, puis la douche.

Sous les voûtes du bazar, les artisans s'affairent, les spécialistes de l'étain livrent leur production aux doreurs et les femmes tissent les tapis du désert. Ici ce sont les nappes traditionnelles ou Pahteh qui sont confectionnées.

Dans la région, on produit des pistaches en grande quantité. Les villes du désert, Yazd, Kerman ou Rafsanjan sont renommées pour leurs produits. L'Iran est le premier producteur mondial de pistaches. Grâce aux systèmes d'irrigation, le fourrage pour l'élevage est abondant.

A quelques kilomètres de Kerman, en plein désert, la petite ville de Mahan,  centre spirituel de la confrérie musulmane des derviches d'Iran où le mausolée de Nematollah Vali, le fondateur de cet ordre mystique, se visite.

Au pied des neiges éternelles, une tâche de verdure incongrue, le plus beau jardin d'Iran où l'eau coule en abondance avec une telle force qu'elle fait parfois éclater les conduits des Qanats.

Surgie de la nuit des temps, la citadelle de Bam appelée la "perle du désert" conserve la mémoire de 2000 ans de bouleversements historiques, d'invasions et de conquêtes. La légende attribue sa construction à Bahman, un roi mythique, l'un des héros de la grande épopée lyrique des anciens souverains perses, le Shahnameh. Elle aurait été fondée vers 250 avant JC et n'a jamais cessé d'être l'enjeu de batailles. Elle constituait un point stratégique dans les luttes pour l'accès à la mer du Golfe Persique, en Afghanistan et au Pakistan. Bam ressemble aux forteresses médiévales d'Europe, mais à la place de la pierre elle fut bâtie en Pisé. La citadelle comprend quatre secteurs étendus sur plus de 200 000 mètres, ourlée de 28 tours de guet. A l'intérieur, une triple enceinte protège le palais du gouverneur de la place forte. Un bazar, aujourd'hui complètement en ruine, témoigne d'une vie organisée et de la présence d'une population nombreuse. Bâti à l'époque safavide, au 16e siècle, le bazar était couvert et abritait de grands entrepôts. Bam se trouvait sur la route de la Soie. Après la seconde enceinte, les écuries royales et les casernes puis des escaliers qui mènent au palais du gouverneur ou palais des quatre saisons. Une grande tour d'observation offre un panorama sur toute la vallée. Avant l'ère islamique, cette tour, ainsi que le palais du gouverneur faisaient partie d'un temple du feu zoroastrien.

Maîtrisant l'eau et le vent, les habitants des cités du désert iranien ont arraché à leur terre brûlante des jardins paradisiaques et des habitations aérées. Yazd, Kerman, Mahan, posées au cœur de la fournaise, ont réussi au cours des siècles à se donner des allures d'oasis.

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