Cités mogholes

Publié le par sylvain dommergue

 Le Taj Mahal, l'un des monuments les plus connus du monde, joyau de pierre hérité de la civilisation des grands Moghols fut construit par une de ces empereurs musulmans venus d'Asie centrale qui régnèrent sur l'Inde pendant plus de trois siècles. Cités, palais, miniatures, tombeaux et mosquées de l'Inde du Nord racontent encore leur histoire grandiose.

Le Qutub Minar de Delhi date du début du 13e siècle, l'époque des premières dynasties musulmanes indiennes. Au pied de ce minaret à 5 étages, de modèle afghan, apparaît les ruines d'une mosquée. Après chaque bataille et chaque victoire sur un territoire, les souverains faisaient bâtir une mosquée.

Plusieurs dynasties, venant principalement d'Afghanistan et de Turquie, se sont succédées avant l'arrivée du souverain Bâbur, le premier des grands Moghols. Chacune construisait sa capitale, sa forteresse, ses mausolées. A la fin du 14 e siècle, Tamerlan, le grand conquérant mongol, dévasta la région de Delhi avant de retourner à Samarkand. Vaillant soldat, le roi Bâbur fut le grand conquérant de l'Inde. Après avoir guerroyé à Samarkand, il soumet la ville de Lahore puis celle de Delhi. Religieux et cultivé, Bâbur inaugure dès le 16e siècle la tradition des souverains lettrés, traduisant des ouvrages et composant de la poésie. Le fils de Bâbur, Humayun, dont le tombeau se dresse dans un grand jardin de Delhi, a 23 ans lorsqu'il succède à son père.

Le mausolée est d'inspiration persane. Il annonce déjà, dans ses lignes architecturales, le futur Taj Mahal. Élevé sur un socle, il est conçu pour être vu de loin. Guerrier comme son père, Humayun affronte les armées afghanes ou hindoues qui menacent son jeune empire. Il connaît même l'exil en Perse mais finit par reconquérir définitivement l'Inde et consolider le pouvoir de la dynastie. Il fonde alors la première école de peinture moghole et fait rayonner la culture persane. En 1556, l'arrivée au pouvoir du fils d'Humayun, l'empereur Akbar, marque un tournant dans l'histoire de la dynastie moghole. À 13 ans, ce dernier hérite de la couronne. Il consolide les frontières de son empire et soumet les rois hindous du Rajasthan grâce à une habile politique matrimoniale. En quelques années, Akbar règne sur le Rajasthan, le Gujarât, le Bengale, le Cachemire et l'Afghanistan. Akbar était très croyant. Tourmenté par son absence d'héritier, il se rendait souvent en pèlerinage. Un jour, dans un village, l'empereur rencontra un ascète nommé Shaïkh Salim Chishti, réputé pour sa sagesse et sa sainteté. Ce dernier lui annonça que, malgré ses craintes, il aurait des fils. L'empereur décida alors de faire construire sur les lieux de sa rencontre un palais. Une ville allait sortir de terre, baptisée Fathepur, "ville de la victoire". La mosquée de Fathepur, qui renferme la tombe du saint devin, est remarquable par son ampleur. Elle peut accueillir quelques 10 000 fidèles. L'empereur Akbar, bien que revendiquant son appartenance à l'Islam, se distingua par une politique très tolérante envers les autres religions. Il n'oublia jamais que la majorité de ses sujets étaient de confession hindoue. Si la mosquée de Fathepur reprend les motifs géométriques musulmans, son plan reprend des éléments de l'art indien ; la vaste cour, les arcades, les piliers. Le tombeau de Shaïkh Salim Chishti a été élevé à l'emplacement de son oratoire. Les musulmans indiens viennent encore de nos jours sur la tombe du sage, pour se recueillir et y déposer souvent des offrandes afin d'obtenir, comme l'empereur Akbar en son temps, la grâce de donner le jour à des héritiers.

La capitale d'Akbar est aujourd'hui une ville morte. La cour moghole n'y a séjourné qu'une dizaine d'années. En 1585, l'empereur, appelé à mener de nombreuses batailles, quitta la ville qui se dépeupla. Des difficultés d'approvisionnement en eau ont été évoqué pour expliquer cet abandon. Aujourd'hui, il ne reste plus qu'un modeste village au pied de la vieille ville.

La construction de Fathepur Sikri et la richesse du train de vie de la cour d'Akbar ont favorisé le développement d'un artisanat qui s'est perpétué jusqu'à nos jours. Les gestes des fileurs ou des maçons sont les mêmes que ceux dont  témoignent les miniatures de l'époque, représentant la construction de la ville. Les vestiges de la ville des victoires d'Akbar témoignent de sa magnificence. Les architectes de l'empereur ont réalisé sur un vaste quadrilatère une synthèse de styles originale ; les motifs indo-musulmans se combinent avec des éléments de construction hindous, bouddhiques et même européens. Le souverain passait des heures dans cette pièce, construite autour d'un pilier ouvragé sur lequel il s'asseyait au sommet. Au bout des galeries qui partent du pilier, des théologiens de toutes confessions, y compris des jésuites européens, débattaient sous son arbitrage. Akbar était féru d'œcuménisme et créa même sa propre religion, le "Din i Il Ali", un mélange de croyances dont il s'était instauré le demi-dieu. Sous les colonnades du palais, entre lesquelles on tendait des draperies, la cour devisait, organisait des jeux de société, écoutait des musiciens ou admirait des danseuses.

Parmi les bâtiments qui bordent la place centrale de la ville, le Panch Mahal, rappelle les temples bouddhiques, avec ses étages décroissants. Ouvert à tous les vents il a pu servir de dortoir pendant les nuits caniculaires d'avant la mousson.

L'époque des Moghols vit se développer dans toute l'Inde du Nord un cérémonial fastueux. Les empereurs et les potentats locaux multiplièrent les constructions de palais avec une prédilection très marquée pour les fontaines et les jardins. Comme leurs ancêtres perses ou turcs, les Moghols vénéraient l'eau. Rafraîchissante au moment des grandes chaleurs printanières, source de richesse, rare et précieuse, elle est devenue un motif architectural à part entière ainsi qu'un élément central dans la vie des nobles de la cour. Au Rajasthan les souverains hindous qui luttaient contre les dynasties musulmanes furent eux-mêmes fortement influencés par l'art de vivre des Moghols. De nos jours, les motifs décoratifs des siècles passés, élaborés pour la plupart sous les Moghols, sont encore repris par les brodeurs. La technique s'est transmise chez les artisans de père en fils. Ces parures sont achetées pour offrir lors des naissances ou encore des mariages. Au 17e siècle, l'empire Moghol atteint son apogée. Le Taj Mahal est le symbole de cette splendeur. Mausolée dédié à une femme follement aimée, il est le témoignage flamboyant, par delà la mort, d'une passion devenue légendaire. En 1631, l'empereur Shah Jahan, petit-fils d'Akbar, subit une terrible épreuve. Son épouse bien-aimée Muntaz Mahal, surnommée "la plus vertueuse du palais", meurt en donnant naissance à leur 14e enfant. L'empereur fait édifier pour sa reine un mausolée à Agra, au bord de la rivière Yamunâ. Sa beauté devra symboliser la grandeur de son amour. Dans un jardin qui symbolise le paradis tel que l'évoque le Coran, c'est à dire le point de rencontre entre l'Homme et dieu, ce véritable livre de signes de marbre blanc symbolise la passion et le désespoir. L'empereur passait ses journées sur le chantier et dirigeait lui-même les travaux. Il n'y eu pas d'architecte à proprement parler mais plutôt une équipe d'artistes, un vénitien pour le dessin, un turc pour le plan, un syrien, et même un bordelais pour la décoration. Plus de 20 000 ouvriers furent employés à la construction. Le marbre poli, d'une blancheur mystique, provient de carrières situées à plus de 300 kilomètres et fut transporté par tonnes sur des chars à buffles. Comme pour souligner encore plus la couleur immaculée du Taj Mahal, le portail monumental d'entrée dans le parc est de grès rouge, incrusté d'arabesques coraniques.

Soucis d'un équilibre parfait, le mausolée est flanqué sur sa gauche d'une mosquée et sur sa droite d'un autre bâtiment qui n'a pour seule fonction que de lui répondre harmonieusement.

La légende de Shah Jahan et de Muntaz Mahal est aussi celle d'un roi destitué, qui n'eut jamais la possibilité de venir se recueillir de son vivant sur la tombe de sa bien-aimée. L'empereur, détrôné par son propre fils, fut emprisonné au fort rouge d'Agra. Du balcon du palais où il était retenu, il pouvait contempler de loin le Taj Mahal, et regarder couler la rivière Yamunâ. À sa mort, il fut inhumé auprès de sa bien-aimée.

Cette impressionnante forteresse avait été fondée par le grand-père de Shah Jahan, Akbar. Shah Jahan n'avait conservé que les murailles et avait fait élever de nouveaux palais. Les remparts de la citadelle impériale sont renforcés de tours et de bastions et protégés par un fossé. Des quatre portes d'entrées du fort, deux sont encore ouvertes. Elles étaient précédées d'une rampe d'accès pour les éléphants. A l'intérieur des remparts du fort rouge, un dédale de corridors, de jardins, de palais et de salles d'audience impériale, de kiosques et de pavillons. La partie la plus séduisante de la citadelle reste le palais privé de Shah Jahan, bâti près de la Yamunâ en 1636. Son ornementation intérieure est d'un raffinement extrême. Profusion de thèmes naturalistes dans la pierre incrustée, marqueteries colorées, bassins, fontaines, niches sculptées, plafonds et colonnades. Un labyrinthe luxueux, parfois baroque. L'art de l'incrustation de la pierre, dont le Shah Jahan était grand amateur, pourrait provenir d'Italie. C'est à Agra qu'il a atteint son apogée. La religion musulmane préconisant de ne pas représenter d'êtres vivants, ce sont les motifs floraux qui inspirent les artisans.

Les souverains Moghols ont longtemps choisi la ville d'Agra comme capitale. Mais en 1638, avant d'être détrôné par son fils, Shah Jahan décida de transférer sa cour à Delhi. Il y fit construire un autre fort rouge et une mosquée cathédrale, la Jama Masjid, aujourd'hui au cœur de la vieille ville de Delhi. Arrêté peu de temps après, l'empereur n'eut cependant pas le loisir de régner à Delhi. La Jama masjid peut accueillir jusqu'à 25 000 fidèles. C'est la plus grande mosquée de toute l'Inde. Le fort rouge de Delhi, qui se trouve à quelques centaines de mètres de la mosquée, avait été fondé avant Shah jahan, dès le XI e siècle. Mais c'est aux Moghols que l'on doit la plus grande partie des bâtiments comme le hall des audiences publiques ou Diwan-i-am où l'empereur recevait tous les jours des délégations officielles. Il s'installait sur un trône, surmonté d'un dais. Un autre hall, plus petit, était réservé aux audiences privées.

Comme dans tous les jardins Moghols, l'eau est le motif favori dans les jardins du fort rouge. Au cœur du complexe palatial, un joyau de marbre, la Moti Masjid ou mosquée de la perle. De proportion réduite, ses dômes étaient autrefois de cuivre doré. Le fort rouge fut la dernière demeure des Moghols. Après le shah Jahan les dynasties se sont succédées, de plus en plus divisées et incapables de conserver l'alliance des princes locaux.

Les héritiers d'Akbar, qui menaient une politique religieuse de plus en plus orthodoxe et beaucoup moins tolérante envers les non musulmans, essuyèrent de nombreuses révoltes. Les Européens, qui cherchèrent dès le 18 e siècle à s'imposer en Inde attisèrent les dissensions. C'est au fort rouge que le dernier empereur Moghol, Bahabur Shah II fut assigné à résidence par les Anglais, avant de finir sa vie en exil à Rangoon en 1862. Devenu un empereur fantoche entre les mains des colons britanniques, il régna quelques temps sur une cour délabrée qui avait perdu depuis longtemps l'éclat des temps de la gloire. Après le départ de Bahabur Shah, le fort rouge fut transformé en caserne. Un empire en avait remplacé un autre.

La ville de Delhi, capitale d'une dynastie tricentenaire allait tomber dans l'oubli pendant plus de 60 ans, avant de redevenir la capitale de l'empire britannique puis de l'Inde indépendante.

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