Artisans du caviar

Publié le par sylvain dommergue

La mer Caspienne, plus grand lac du monde avec 385 000 kilomètres carrés de superficie, ses eaux salées, baignent les côtes Nord de l’Iran et livrent chaque année près de 300 tonnes d’une denrée rare, le caviar.

Ici, balayés par les vents, les pêcheurs organisés en de petites embarcations capturent aux embouchures des rivières les précieux esturgeons et les délestent ensuite de leurs œufs minuscules, dont la valeur atteint des sommes très élevées.

L’état iranien détient le monopole de l’industrie du caviar seulement depuis 1953. Auparavant, les Russes exploitaient les esturgeons de la mer Caspienne et jusqu’à la fin des années 20, la quasi-totalité de la production était exportée vers la Russie. Dans les années 30, les Russes perdirent une partie de leur suprématie commerciale, qu'ils partagèrent avec les Iraniens, au sein d’une firme mixte.

Les pêcheries d’aujourd’hui restent sous un contrôle national exclusif, aucun iranien ne s’amuserait à tricher avec les règles. D’autant que la pêche à l’esturgeon et la récolte du caviar représentent une industrie précise et délicate, qui exige un équipement approprié et ne peut en aucun cas s’improviser. Cette pêche est aujourd’hui d’autant plus réglementée qu’elle est devenue plus rare.

Au début du siècle, 40 000 tonnes d’esturgeons étaient pêchées annuellement contre 4 000 aujourd’hui. Des chiffres qui ont de quoi inquiéter les Iraniens. Cependant, l’esturgeon n’est pas la seule richesse offerte par la mer Caspienne, d’autres poissons font l’objet d’une pêche importante, tout en jouant un rôle actif dans le développement de la chaîne alimentaire de l’esturgeon, l’artémian et le kilka. L’artémian est utilisé comme nourriture pour l’esturgeon en raison de sa très grande teneur en protéines et en matières grasses.  Il y a quelque 100 ans seulement que les Iraniens ont commencé à s’intéresser aux artémians. Ce poisson minuscule prolifère seulement dans les eaux à salinité très élevée et il existe à peu près 500 régions du monde où ce poisson se développe.

Grâce à la présence de ses nombreux lacs salés, l’Iran, à égalité avec la Chine, est devenu le plus important producteur d’artémians du monde. Sa pêche est artisanale et se pratique toujours avec de petits bateaux à moteur. La production annuelle d’artémian, sévèrement protégée en raison de sa très forte  plus-value, est d’environ 400 000 tonnes, dont environ 5% est utilisé pour la nourriture de l’esturgeon.

Les chercheurs de la société SHILAT, société nationale des pêcheries d’Iran, ont pu découvrir qu’en déversant certains acides dans les eaux du lac, ils arrivaient à augmenter le taux de protéines des artémians et par voie de conséquence, le potentiel nutritif de la poudre tirée de leur production.

Les 700 chercheurs iraniens de Shilat, répartis sur plus d’une dizaine de sites à travers tout le pays, développent les futures techniques qui permettront de créer de nouvelles espèces et d’augmenter ainsi les ressources en devises étrangères du pays.

Le lac d’Oroumiyeh, plus grand lac d'Iran avec une superficie de plus de 4 000 km², possède un taux de salinité très élevé. De nombreuses stations balnéaires sont installées sur ses rives et plus de 104 îles sont réparties sur la superficie du lac classé parc national.

La seule pêche autorisée dans la mer Caspienne, par la compagnie nationale Shilat, reste la pêche au poisson blanc. Des pêcheries organisées en coopérative se déroule 4 fois par jour, les deux premiers ramassages ont lieu dès 5h du matin et les deux derniers dans l'après-midi, 16h et 18h.

les filets longs de un KM sont ramassés sur la plage et par des tracteurs. Lorsque par mégarde les pêcheurs attrapent un esturgeon, ils doivent impérativement le remettre à la société Shilat

Le kilka, autre perle de la Caspienne, existe sous trois espèces : le kilka anchois, le big eye et le Kilka commun. Ce petit poisson d’environ 5 à 6 centimètres de long vit uniquement dans la mer Caspienne. Les principales stations de pêche se situent à Anzali, Bandar et Torqueman où sont également installés les laboratoires de la société nationale des pêcheries d’Iran. Il y a quelques dizaines d’années, le gouvernement iranien a consenti de nombreux prêts sans intérêt aux pêcheurs de la mer Caspienne afin de constituer une flotte importante de petits bateaux destinés à la pêche  au kilka. Cette initiative qui  rencontra un vif succès auprès des pêcheurs permit également la création de quelque cinquante mille emplois.

Le kilka se pêche de nuit, les embarcations partent au coucher du  soleil et se rendent en mer à environ une heure de la Côte. La pêche se pratique autour d’une sorte de filet, qui est descendu à l’aide d’un treuil à une profondeur d’environ 25 mètres. Attiré par la lumière, le kilka s’agglutine dans le fond du filet. Sa production totale se situe aux alentours de 250 000 tonnes pour toute la mer Caspienne. Plus de cent stations se partagent la pêche sur les 650 km de côtes.

Le kilka anchois, qui vit en surface, constitue plus de 90% des prises. Il est ensuite transformé en poudre pour plus de 90% et en nourriture humaine pour les 10% qui restent. Vendue sous forme de conserves, cette production est réservée à l'étranger et en Espagne en particulier.

La pêche la plus noble reste bien sûr la pêche à l’esturgeon. Elle s’effectue essentiellement  à partir des ports d’Anzali, Bandar et Torqueman.  La pêche à l'esturgeon relève d'un rituel resté inchangé qui se déroule au printemps et à l'automne. Elle est encore pratiquée de façon artisanale avec de petits bateaux à moteur dont l’équipage ne comprend guère plus de deux ou trois personnes. Les filets longs de plus de 500 m sont jetés  à la mer au petit jour et relevés en fin de matinée mais les prises ne sont pas toujours à la hauteur des efforts.

Ces images d'archives montrent clairement que la taille des prises et leur abondance à cette époque étaient supérieures à celles d'aujourd'hui. La pollution et la pêche intensive sont les principaux facteurs.

Un esturgeon pèse entre 40 et 300 kg selon les espèces, certaines prises exceptionnelles peuvent aller jusqu’à 600 kilos. Un fois capturé, il est immédiatement emporté sur un brancard afin de ne pas l'endommagé.

Traité immédiatement sur place dans les laboratoires installés sur la plage puis trié par espèce, on prélève ses œufs eux-mêmes triés par leur maturité. Il est tout d’abord vidé de son sang, nettoyé à grandes eaux puis ouvert sur toute la longueur afin d’en retirer les précieux œufs.

Ensuite, le tamisage commence afin de  séparer les œufs, suivi des travaux de nettoyage et de salaison.

Le caviar est enfin transporté au laboratoire de conditionnement de Bandar et Anzali où il est directement mis en boîtes de 500 grammes avant d’être transféré à Téhéran.

Trois espèces d’esturgeons se distinguent par la saveur exceptionnelle de leur caviar : le béluga, dont la femelle peut donner jusqu’à 15 kilogrammes d’œufs ; l’osciètre et le sévruga.

Le repeuplement en poissons est rendu indispensable au vu de la baisse notable du volume de production. Un rapport rendu public par l’Unesco a souligné l’ « état critique de la Mer Caspienne » et signalé la « réduction drastique du stock d'esturgeon » en raison notamment de la pollution qui s’est intensifié ces dernières années, avec les importants rejets toxiques des industries de l’ex-URSS et les dégradations liées aux exploitations pétrolières. La guerre de l’esturgeon aura-t-elle lieu ? Pour l’heure, les boîtes de caviar s’empilent méthodiquement dans les chambres froides en attendant de venir fondre sous les palais les plus raffinés de la planète.

La Société Shilat mène une ambitieuse politique d’élevage de jeunes esturgeons. En dix ans, la production est passée de deux millions à 25 millions d’unités. Cette société a même réussi à réaliser un croisement d’espèces qui a donné un nouveau poisson, le chips.

Dès que les alevins atteignent la taille requise, ils sont rejetés dans les quelques 110 rivières qui se jettent dans la mer Caspienne.

 

Publié dans Art et Artisanat

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